[Cinéma] Cartel

Cartel est moins un film de Ridley Scott qu’un roman de Cormac McCarthy tant le premier scénario original écrit par l’auteur de La Route et No country for old men est construit à l’image de ses romans, traversé de dialogues sans entrée ni sortie (l’écrivain ayant banni les guillemets de son langage) et de témoignages sur un monde vérolé de toute part. Cette humanité rance et nauséabonde qu’exhale Cartel, cet empire de cupidité et d’apathie dont il chante l’immortalité, c’est du McCarthy tout craché.

Ridley Scott, en génuflexion devant la formidable érection verbale du script, choie donc ces bavardages formulés comme autant de lourds avertissements à l’adresse de celui que tous appelle Maître (impeccable Michael Fassbender), un avocat qui se décide à franchir la ligne jaune avec le futur gérant d’un night club (Javier Bardem, encore fois particulièrement gâté par la direction artistique coiffure) afin d’éponger quelques dettes et offrir à sa bien-aimée (désirable Penelope Cruz) une vie confortable. Des séquences logorrhéiques où les femmes s’imposent comme des créatures à l’appétit sexuel hors du commun (une scène de coït avec le pare-brise d’une Ferrari depuis passé dans le culte) menant leurs partenaires masculins à leurs pertes par la sensiblerie qu’elles font naître en eux. Une espèce dont Malkina (Cameron Diaz, en roue libre), prédatrice lascive sûre de son pouvoir de fascination, en est incontestablement la reine. En résulte un premier acte gorgé d’apartés lubriques sans queue ni tête face auxquels une narration classique ne peu que courber docilement l’échine. Heureusement, Scott sait encore bâtir des atmosphères, qu’elles soient graphiques ou musicales (parfaite mise en tension des images et des mots par le compositeur Daniel Pemberton), rendant alors le spectacle de cette première heure aussi assommant qu’étrangement fascinant.

Après avoir abusivement retardé l’action, la mécanique infernale se met enfin en branle pour étrangler un à un les protagonistes masculins, au sens propre (le fameux bolito, réveillant les restes du giallo qui gisaient en Scott depuis Hannibal) comme au figuré. Cette seconde heure crépusculaire, sans sacrifier totalement au verbe de McCarthy, en galvanise le propos en nous faisant goûter à cet enfer dont les personnages satellites annonçaient longuement l’arrivée. En faisant danser ainsi les flammes de la dépravation sur ce monde terrestre, Ridley Scott, artiste désormais préoccupé par la finitude de son existence (jeune réalisateur de 75 ans à l’époque de sa sortie en salle) et hanté par le suicide de son frère, tente d’exorciser, par ses films, ses peurs et ses doutes pour se convaincre que la mort à davantage de sens que la vie. Pas sûr qu’il soit parvenu à nous en convaincre avec ce geste artistique imparfait.

15 commentaires

  1. Comme tu le sais camarade, pas convaincu par ce film. Beaucoup trop long et surtout lent avant de réellement démarer. Toutefois il y a des choses intéressantes. Cameron Diaz sort vraiment du lot en panthère redoutable. Fassbender trouve un moyen supplémentaire pour convaincre en homme rattrapé par son orgueil. Puis ces moments de violence plutôt savoureux et confirmant la dureté du récit.

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  2. Moi non plus, ce film ne m’a pas convaincu. Mais ma critique était plus vive qu’elle ne l’est aujourd’hui. Je crois que le film a besoin d’être reconsidéré, même si d’y réfléchir à nouveau ne le rendra pas moins bancal, moins déséquilibré. Ce que j’ai lu ensuite de positif dessus m’a en tout cas donné envie de porter un 2e regard. Et finalement ton papier également car j’ y vois notamment des concordances thématiques vraiment intéressantes avec Covenant.

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    • La présence de thèmes analogues avec Covenant (que je n’ai pas pris le temps d’aller découvrir en salle) ne m’étonne guère. Ridley Scott est selon moi entré, depuis Prometheus, dans la dernière partie de sa carrière en portant à l’écran des récits du vieil âge, posant la question de la vie après la mort ou par delà l’existence terrienne pour y répondre finalement de manière désabusée. Même le très « feel good » Seul sur Mars répond à cette logique.

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  3. Retour en grâce du Cartel selon Ridley. Je reconnais avoir fait l’impasse sur celui-ci (et sur Damon qui fait pousser ses tomates sur Mars). Sir Scott dans le registre polar devrait peut-être passer un peu mieux que sa dernière livraison de SF fadasse.
    Chouette chronique en tous cas.

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