[Cinéma] Les Proies (2017)

En adaptant Les Proies de Thomas Cullinan, Sofia Coppola a pour ambition d’embrasser, à l’inverse de la première lecture qu’en proposa le cinéaste Donald Siegel en 1971, le point de vue des résidentes du pensionnat pour jeunes filles au sein duquel se déroule ce drame psychologique. Le paysage parle donc désormais pour ces recluses. Cette brume recouvrant la forêt de Virginie, rempart sylvestre préservant de la violence des combats menés sur le front de la Guerre Civile, est l’expression de ce mince voile derrière lequel sommeille le désir de ces femmes loin de tout, et surtout des hommes. Désir que l’irruption dans ce gynécée d’un caporal nordiste blessé au combat vient réveiller. À peine ce dernier est-il d’ailleurs admis en son sein que les têtes de ses hôtesses tournent déjà. La méfiance de la collet monté matrone de l’internat envers la tunique bleue se trouble (Nicole Kidman, impériale dans sa robe victorienne), la morosité colorant le regard de la jeune institutrice se dissipe (rôle confié à la « Melancholiac » Kristen Dunst), et l’esprit de celles n’ayant pas encore connue le loup s’émoustille. Envoûtées par ce mâle, toutes se parent de leurs plus beaux atours comme pour le convier à ensorceler leur quotidien jusqu’alors uniquement rythmé par des travaux de broderie et de maraîchage. De ce manège des sentiments, Don Siegel en avait tiré un conte vénéneux, licencieux, nihiliste, à l’érotisme frontal. Sofia Coppola, elle, drape tout cela d’une doucereuse et somptueuse pénombre que son chef opérateur Philippe Le Sourd compose comme s’il s’agissait d’un parfum de grande marque. Un habillage qui renforce le caractère d’une mise en scène dont la pudeur dénote tant la nature sulfureuse des relations qu’entretiennent les personnages appelle à un traitement autrement plus fiévreux. L’interprétation tiédasse offerte par Colin Farrell, il est vrai pas aidé par un rôle dépossédé de toute son ambiguïté et de cette flamboyante virilité qu’avait su magnifiquement incarner en son temps Clint Eastwood, est à l’avenant de cette vision puritaine et lénifiante du récit. Pis, Sofia Coppola, qui prétend avec cette adaptation donner la parole à ses héroïnes, les rend étrangement insaisissables par cette distance qu’elle instaure avec leurs humeurs et leurs passés, échouant là où Siegel était paradoxalement parvenu à leur apporter une épaisseur psychologique. Même lorsque la situation bascule, que le convalescent paie le prix fort d’être venu cueillir le fruit de la passion chez la plus offrante des pensionnaires, Coppola retient les chevaux, ne souhaitant point trop afficher cette part de mal qu’abrite ces femmes condamnées à devenir les proies de ce prédateur dont elles sont les génitrices. Privilégiez donc la version de 1971, dont la lourdeur formelle ne l’empêche pas d’être bien plus passionnante à découvrir.

12 commentaires

  1. Une fois de plus, ton point de vue se cristallise en mots parfaitement choisis pour mieux épouser pleinement mon avis.
    Sofia Coppola change le récit sulfureux de Cullinan en un conte cotonneux, dans lequel le Chaperon attire le loup dans la tanière de la mère (grand) supérieure, tandis que ses sœurs de pensionnat scrutent à la lunette le crépuscule qui rougeoie (ne vois-tu rien venir, gentil spectateur ?) et que le barbu à la tunique bleue choisit ses proies. Tout cela ne vire en effet qu’à un défilé de robes aux chandelles. Un prix à Cannes une fois de plus assez incompréhensible.

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    • Enfin, le prix de Cannes ne récompensait que la mise en scène qui, bien qu’il n’y ait matière à grimper au rideau, se révèle tout de même maitrisée. Il aurait été plus incompréhensible si le jury en avait décerné un à Colin Farrell ou au scénario.
      Du reste, je suis heureux que nous nous accordions à son sujet.

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      • Le prix du scénario a été remis à Lynn Ramsey, un choix sur lequel je m’interroge encore, alors que la mise en scène lui aurait sans doute mieux convenu qu’à ce Coppola certes bien mis, mais pas franchement renversant. Pour le coup, la prestation de Phoenix dans celui-là écrase largement celle, néanmoins satisfaisante, de Farrell dans celui-ci.

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