[Littérature] Carnets noirs

L’une des révélations les plus électrisantes dans une vie de lecteur, c’est de découvrir qu’on est un lecteur – pas seulement capable de lire (ce que Morris savait déjà), mais amoureux de la lecture. Éperdument. Raide dingue. Le premier livre qui donne cette impression ne s’oublie jamais et chacune de ses pages semble apporter une nouvelle révélation, une révélation qui brule et qui enivre : Oui ! C’est ça ! Oui ! Je l’avais vu aussi ! Et, bien sûr : C’est exactement ce que je pense ! C’est ce que je RESSENS !

Après Mr. Mercedes, Stephen King poursuit sa trilogie consacrée à Bill Hodges, embrayant sur ces Carnets Noirs qui conduiront à leur perte, à trente années d’intervalle, un jeune homme instable carburant à la prose d’un écrivain au crépuscule de sa vie et un adolescent passionné de littérature qu’une manne sortie de terre offre l’opportunité de tirer sa famille de la détresse financière et affective dans laquelle elle s’était enfermée. Deux existences promises à se percuter, violemment. Une nouvelle occasion pour la plume du Roi de l’Horreur, trempée dans cette langue prolétarienne qui lui est chère, de répandre le sang et l’angoisse dans l’esprit des lecteurs. Bien que fait des mêmes pièces ; le fanatisme, l’enfance solitaire (la sienne, celle de nombreux de ses jeunes héros), « l’humour de toilette » (dixit Jean-Philippe Gravel), et malgré son âge avancé, la mécanique régissant l’univers de l’auteur fonctionne encore à plein régime dans notre imaginaire. Parce que la musique produite demeure familière. Parce que King met encore du cœur à l’ouvrage. Parce qu’on aime ça, aussi.

Et comme promis par la quatrième de couverture, sur la banquette arrière de ce récit, on y retrouve de nombreux protagonistes du premier volet, notamment Bill Hodges et ce tueur à la Mercedes pour lequel l’ex-inspecteur de police voue une véritable obsession. Deux passagers de marque, indirectement mais intimement liés aux évènements dépeints dans ce second tome, dont la présence finalement un brin accessoire freine malheureusement la narration plus qu’elle ne la propulse.

Néanmoins, à l’aube de ses soixante-dix printemps, ce vieux routard de l’épouvante, publiant au kilomètre ses écrits, démontre avec ce solide thriller ponctuellement éclairé par quelques pertinents aphorismes sur la littérature qu’il en a encore sous la pédale.

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